Mes propos vous sembleront hors sujet mais
je tenais à vous parler du film à la télé. Celui qui est passé un dimanche soir il y a quelques semaines. Vous savez, ce film avec cette actrice qui joue le rôle d’un écrivain psychopathe et qui
assassine ses victimes tout en copulant copieusement avec elles. J’ai pris le film en cours de route et j’ai bien regretté d’avoir loupé le début. Oh bien sûr je me voudrais plus intellectuel et
pouvoir exhumer des auteurs de littérature du siècle dernier pour vous apporter la preuve que l’on peut être à la fois cultivé et pervers et que tout cela fait bon ménage dans ma petite personne.
Pourtant, c’est bien ce film grand public, vu par des millions de spectateurs à travers le monde qui m’a plu et dont je voudrai vous parler. Pareils à des millions d’hommes et de femmes je n’ai
pas pu résister au charme pervers de Sharon Stone. Je vous dirai même que j’ai a-do-ré.
En un mot, la belle Catherine Tramell (alias Sharone Stone), écrivain à succès, est en délicatesse avec la justice. Une justice policée mais non moins redoutable puisqu’il s’agit de Scotland Yard. Les anglais étant plus fins que leurs cousins d’Amérique, ils décident de faire examiner l’écrivain par un psychologue. Ce dernier est un professionnel. Du solide, du sérieux, du lourd. Il apparaît un brin guindé, barricadé derrière une solide déontologie et connaissant suffisamment les rouages de la psychologie humaine pour ne pas être manipulé. Tu parles. Je me contenterai juste de décrire la scène suivante pour donner un aperçu de ce film plein de perversité et illustrant à merveille une dominatrice.
Au cours du film, notre brave psychologue décide de suivre à distance Catherine Tramell, pour s’apercevoir rapidement que celle-ci se met en danger. En effet, elle s’aventure seule dans les rues les plus sordides de Londres ou prostituées et dealers vivent en harmonie. Il observe à distance. Le temps semble avoir suspendu son vol, ne sachant s’il doit basculer dans la violence ou le sexe. Notre homme est inquiet et mal à son aise. Est-il un voyeur ou joue-t-il les gardes du corps à distance ? Que lui dicte sa conscience? Il en à ce stade lorsque tout à coup il aperçoit Catherine Tramell s’approcher d’un voyou. Elle entame la conversation et le temps d’un instant la voici happée par les bras musclés du bandit vers un sous-sol aussi sale qu’inquiétant. C’est d’abord le soulagement qui anime notre psy car une femme est à sauver. Sa conscience est soulagée car il peut tronquer sa misérable condition de voyeur pour celle du chevalier blanc. Il va enfin prouver qu’il est un homme, un vrai et surtout qu’il est utile. Il va pouvoir rétablir l’équilibre de sexes dans une partie qui était male engagée.
Vite il se précipite vers la porte qui s’est à peine refermée sur Catherine Tramell et son ravisseur. Quoi ? La porte est fermée? Qu’à cela ne tienne…il passera par les toits, sinon par les égouts, voir par les airs ! Une vie est en jeux, son honneur d’homme également! Il grimpe donc sur les toits, non sans avoir défoncé, du premier coup d’épaule, une porte récalcitrante, il aperçoit une verrière et de la lumière ; le salut de la prisonnière est à sa portée ; il va plonger comme tout héro à travers la vitre qui volera en éclats ; il ne se souciera pas de la moindre blessure ; il se battra, délivrera la belle et sans doute couchera-t-il avec elle dans un beau happy end ? Du moins l’espère-t-il. Car avant de plonger, ses yeux éblouis commençant à s’habituer à la lumière, distinguent en contre bas deux corps qui s’enlacent avec frénésie. Le dangereux bandit fornique entre les cuisses largement ouvertes et consentantes de l’écrivant ; elle s’agrippe à son étalon consommant le sexe avec avidité envoyant à la face du monde ses orgasmes assumés. Elle est dans l’acte, elle s’est mise en danger, et elle reçoit les coups de boutoir comme un acte de révérence, de soumission…Couchée comme elle est, elle ne peut que croiser le regard dépité du psy, et lui adresser ce sourire carnacié qui le flétrît sur place.
Notre homme est définitivement battu, Tramell lui ayant démontré l’absurdité de ses prétentions. Le constat s’impose : notre psychologue est inutile. Du moins, il n’a plus d’autre utilité que celle que Catherine Tramell voudra bien désormais lui accorder. Bien sûr il couchera avec elle mais uniquement parce qu’elle l’a décidé. Le psychologue qui représente donc l’autorité et la force vient en fait de capituler en rase campagne. Et voici que s’instaure une relation de maître à esclave. Etrange relation. Le Maître accorde une attention à son esclave quand il le décide et selon ses besoins. L’esclave, lui, quémande les bonnes grâces de son maître, allant jusqu'à devancer ses désirs, lui offrir plus que ce qu’il demande et misérable, il exultera lorsque son maître, atténuant sa brutalité, lui accordera une part infime de ce qu’il espérait secrètement dans son cœur. J’extrapole à partir d’une fiction me direz-vous. C’est vrai.
Revenons-en à Catherine Tramell. Pour résumer, il s’agit d’une superbe quadra, écrivain, doté d’une brillante plume, cultivée, riche, disposant des hommes, goûtant sans modération aux plaisirs féminins, violente, vivant l’acte sexuel comme un combat à livrer. Elle dégage une assurance, une présence déconcertante aussi bien nue qu’habillée. J’avoue que cette femme me tente. Elle me houspille. Mais voilà, c’est un personnage fictif, sorti d’un scénario aux recettes faciles imaginé par un homme et matérialisé par une actrice de cinéma, par une image.
Je me suis fait cette réflexion quelques jours après le magnifique concert à l’Olympia d’une jeune chanteuse américaine. Dieu qu’il est bon et doux d’être subjugué…Il fallait entendre la voix grave, parfois rauque de cette femme, cette vamp, raide et sensuelle se déplaçant sur la scène avec flegme tout en s’aidant d’une cane à pommeau d’argent. Si jeune et si sûre d’elle, j’étais attendri observant sa concentration impénétrable en savourant sa voix. Un quintette composé d’un saxophoniste, d’un contrebassiste, d’un batteur, d’un guitariste et d’un violoncelliste qui déclinait des accord de bossa nova utilisant son instrument comme une guitare voluptueuse, la servait avec grâce. Tous cela pour la gloire de la musique et de celle d’une femme de 25 ans jouant de tous les instruments mais capable, aussi, de chanter a capella tout en rythmant sa mélodie de simples coups de talon sur le sol.
Je suis sorti de l’Olympia léger avec cette étrange sensation d’avoir grandi. Pourquoi, me direz-vous, ce saut du coq à l’âne ? Pourquoi d’un bon passer de Catherine Tramell, à la belle chanteuse américaine ? C'est que la première, fictive imaginé par un homme, vient tutoyer ma perversité tandis que la deuxième, bien réelle, me fait pénétrer dans son bel univers de femme.
C’est ainsi que je devais plus ou moins conclure cet Article. Mais la télévision était restée allumée tard après les nouvelles de la nuit. Point de Cathrine Tramell, point de chanteuse américaine, mais l’histoire des camps de transit français de Drancy et de Pithiviers. J’écoutais cette femme évoquant ces enfants séparés de force de leurs mères par la police française puis envoyés seuls vers la mort. La femme parlait d’un petit garçon de quatre ans, grave, abandonné, livré à lui même, sans recours ni réconfort et s’adressant dans le vide à sa mère absente. Dans le néant il disait seulement « maman je vais avoir peur ».
Dès lors, je fais l’ultime saut du coq à l’âne, je fais l’ultime raccourci. Il me semble que mon introspection, que mes réflexions ne pèsent pas bien lourd. Il me semble aussi que nous devons, à nouveau remercier la belle chanteuse pour ce qu’elle fait de beau et faire le constat que nos perversités autocentrées que nous soignons si bien sont d'un monstrueux égoisme et d'une injustices inouies. C'est comme si, soixante plus tard, connaissant tout de sa souffrance, nous crachions à la face de cet enfant.
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